Aperçu des céramiques

à glaçure plombifère de l'Occident romain  

(Les données pour Amiens dans ce dossier ne prennent pas en compte les découvertes faites lors des fouilles du Boulevard de Belfort en 2000)

   

"Assez d'archéologie comme cela ! s'écria Fabio ; nous ne voulons pas écrire une dissertation sur une cruche ou une tuile du temps de Jules César pour devenir membres d'une académie de province".

 Théophile GAUTIER, dans "Arria Marcella, souvenir de Pompéi", 1852.

 

 1. Origine et prototypes

 La technique de la glaçure réside dans l'application, à la surface de vases précuits (ou "biscuits"), d'oxydes métalliques, en l'occurrence d'oxyde de plomb (PbO), mélangés dans un peu d'eau. Un second passage au four, à haute température, permet alors d'obtenir une vitrification de la glaçure. Le plomb lui donne une couleur vert-jaune, mais qui, parfois, par l'effet d'oxydes de fer contenus dans l'argile,  tire sur l'olivâtre ou sur le brun. La couleur peut être modifiée par l'adjonction d'autres oxydes métalliques, par exemple de cuivre (CuO), de fer ou de manganèse (MnO), pratique attestée en Mésopotamie dès l'époque babylonienne.

 Apparue au Moyen-Orient dès le deuxième millénaire avant notre ère, cette technique reste longtemps cantonnée à l'Orient Méditerranéen. Elle connaît un large développement à l'époque hellénistique, notamment avec les productions de Smyrne. Au Ier siècle avant notre ère, les principaux centres de productions demeurent en Asie Mineure, en particulier à Tarse qui diffuse jusque dans l'Occident méditerranée, entre 50 et 1 avant notre ère. Alexandrie constitue un autre pôle de la céramique glaçurée à cette époque, mais son influence semble assez limitée. En effet, nous avons eu en 1997 l'occasion d'examiner une partie des collections hellénistiques et romaines des fouilles de Tanis, dans le delta du Nil : aucun tesson glaçuré n'y figurait, malgré la proximité d'Alexandrie.

 L'arrivée des produits de Tarse en Occident, à partir du milieu du Ier siècle avant notre ère, entraîne alors l'émergence de productions sur place, et notamment en Italie du Nord (Hochuli-Gysel 1981). C'est à peu près au même moment, vers 40/30 avant notre ère, que la glaçure est pour la première fois mise en œuvre en Gaule, par des potiers installés à Vienne (Saint-Romain-en-Gal : Desbat 1985) et à Lyon "Loyasse" (Génin, Lasfargues, Schmitt 1996), potiers qui produisent des gobelets moulés, dit "d'ACO", mais aussi des skyphoï — d'élégantes coupes à pouciers (Desbat 1987, Pl. 1-1), des canthares — ou coupes à piédestal, et des gobelets à décor clouté (Leblanc 1998). Ces ateliers semblent rapidement abandonnés, mais les potiers (ou les héritiers de leurs techniques) s'installent aussitôt dans un autre secteur de Lyon ("La Muette" : Génin et alii 1996), où ils sont attestés jusque vers 10/1 avant notre ère.

 La production de "La Muette" reste assez standardisée, et liée au service du vin : gobelets d'Aco, skyphoï à reliefs d'applique, coupe conique (Desbat 1986, fig. 1-4), ainsi peut-être que quelques rhytons — des coupes à boire apodes (Greene 1979). La pâte est beige, rose ou brune, souvent fortement micacée, et transparaît sous la glaçure, qui prend alors une teinte "miel". Quelques exemplaires présentent toutefois une glaçure dans les tons verts ou bruns.

 Au vu de leur savoir-faire, de leur répertoire typologique et de leur onomastique (Aco, Chrysippus, Hilarus, Philarcurus, Philocrates, ...), il est certain que ces potiers sont originaires de la péninsule italique. On peut envisager qu'une partie d'entre eux provienne des ateliers du nord de l'Italie, où la production de gobelets d'Aco et de skyphoï est bien attestée à l'époque tardo-républicaine, et où la glaçure est alors pratiquée.

Ces produits sont rares, même dans la zone de production : à Lyon, Armand DESBAT (1987) n'en a répertorié, en dehors des ateliers, que 11 fragments sur des zones d'habitat (Rue des Farges, La Solitude). Il est d'ailleurs possible que certains de ces tessons aient été importés d'Italie du Nord (Desbat 1986). Dans ces conditions, il n'est guère surprenant que, dans le sud-ouest de la Gaule Belgique, aucun vase glaçuré de cette première génération n'ait été découvert, du moins à notre connaissance. Quelques gobelets d'Aco ont bien été enregistrés (sept à Amiens, un huitième à Conchil-le-Temple dans le Pas-de-Calais), tous vraisemblablement issus des ateliers de la vallée du Rhône, mais aucun ne présente de traces d'une glaçure.

  

2. L'apogée de la production glaçurée gauloise : les atelier de Gaule Centrale

 2.1. Considérations générales

A l'époque de Tibère, la technique est reprise dans le centre de la Gaule. La forme des gobelets d'Aco est d'ailleurs copiée en Gaule Centrale, où elle est désignée sous le nom Déch. 57 ; de même, les skyphoï à relief d'applique font partie du répertoire des glaçurées de Gaule Centrale. Il peut donc y avoir eu transfert direct de technologie, par des potiers venus de la vallée du Rhône. Kevin Greene (1979) constate d'ailleurs que la production commence en Gaule Centrale au moment où l'atelier de Lyon est abandonné.

 

Hughes VERTET (1980), après avoir dépouillé la documentation sur les ateliers de cette région, retient onze ateliers comme ayant produit de la céramique à glaçure plombifère. Il s'agit :

— de façon certaine, de Saint-Rémy-en-Rollat, Vichy, Saint-Pourçain-sur-Besbre, Bègues, Yzeure "Saint-Bonnet", Autun, Bourbon-Lancy (Notet 1990), Lezoux

— et, de façon plus hypothétique, de Néris-les-Bains, Gannat et Saint-Didier-la Forêt.

On admet généralement la date de 20 apr. J.-C. pour le démarrage de la production. Cette datation tibérienne repose principalement sur l'existence de formes archaïques — skyphoï et gobelets Déch. 57 notamment, connues par ailleurs jusqu'au début de l'époque tibérienne au plus tard. Il semble, au vu des éléments recueillis au XIXe siècle à Saint-Rémy-en-Rollat, que cet atelier soit le plus ancien, et n'ait été en activité qu'à l'époque tibérienne, avec une diffusion peut-être assez limitée. En effet, les témoignages en contexte d'habitat sont exceptionnels avant le milieu du Ier siècle : on ne peut guère citer comme assurément tibériens, dans les documents consultés, qu'un gobelet moulé trouvé à Lyon en 1973 (Desbat 1987, Pl. 2-5), et trois tessons moulés sur le camp militaire d'Aulnay-de-Saintonge.

L'essor commercial véritable semble donc dater de l'époque claudienne, date à partir de laquelle elle est bien représentée, par les découvertes signalées à Lyon, à Vienne, à Roanne, à Sées, à Amiens ou en Grande-Bretagne. Cette phase d'expansion dure jusque dans le courant de l'époque flavienne, et ne semble guère dépasser les années 80 de notre ère. Hughes VERTET (1986) semble toutefois enclin a prolonger la phase de production jusque sous Trajan, dans les premières décennies du IIe siècle.

Certains vases signés permettent de connaître le nom de quelques moulistes : Annius (Avenches), An(  ) (Saintes), OINNA (Lisieux), DOIISA.S (Cirencester). Les signatures restent toutefois un fait exceptionnel sur ce type de céramiques.

Le répertoire de formes est très diversifié, mais demeure essentiellement lié au service à boire : coupes, canthares, calices, skyphoï, gobelets, cruches, bouteilles, gourdes. Il faut y ajouter quelques bols ou jattes, un biberon, une patère. Deux typologies de base sont disponibles actuellement. La première a été dressée par Kevin GREENE (1979), qui relève 18 formes différentes dans le mobilier importé en Grande-Bretagne, et couvre ainsi l'essentiel du matériel diffusé à longue distance. Le second répertoire, établi par Hughes VERTET (1986), est nettement plus riche, car il prend en compte les vases trouvés dans la région de production, dont certain sont rarissimes. Cette deuxième typologie comprend 43 types différents, dont 13 à décor moulé, 7 décorés de reliefs d'applique, 16 décorés à la barbotine, et 7 dépourvus de décor. La classification de VERTET est toutefois d'usage malaisé, car elle ne répond pas à une numérotation linéaire des formes.

D'autre part, plusieurs formes n'ont pas été répertoriées. Nous en avons identifié dix supplémentaires, ce qui porte provisoirement la production de Gaule Centrale à 53 formes :

— une coupe carénée de Lisieux (Jigan 1988, fig. 1-2),

— un encrier de Bolbec (Jigan 1988, fig. 4-8),

— un entonoir à décor moulé de Caudebec-les-Elbeuf (Jigan 1988, fig. 4-12) ;

— un skyphos-kotylai de Vichy (Corrocher 1983, Pl. I-10),

— une jatte à bord en marli, également de Vichy (Corrocher 1983, Pl. I-8),

— une coupe hémisphérique à décor barbotiné (Corrocher 1983, Pl. I-7),

— un gobelet trapu caréné à décor barbotiné (Corrocher 1983, Pl. I-2),

— un calice à piédestal et à anses, décoré d'un relief d'applique, trouvé à Vichy (Corrocher 1983, Pl. IV),

— un biberon caréné à décor moulé, lui aussi de Vichy, connu en un unique exemplaire (Corrocher 1983, Pl. XIV-3),

— enfin, un vase moulé à panse globulaire, peut-être de type Déch. 72, trouvé à Colchester (Symonds, Hatcher 1989, Fig. 1-RG 60).

En dehors de la vaisselle, les ateliers de Gaule Centrale ont appliqué la glaçure sur différents supports qui ne concernent pas ici notre propos : des lampes à huile à décor de godrons ou en forme de pied, des figurines en terre cuite, des chenets, des plaques de foyers (Vertet 1986), un sifflet (Corrocher 1983).

La diffusion semble très étendue, mais toujours en petite quantité. Un examen très sommaire de la documentation permet de circonscrire une aire de distribution plus vaste, qui couvre l'essentiel des provinces du nord-ouest de l'Empire romain (Bretagne, Germanies, Belgique, Lyonnaise, Aquitaine). Seule la Gaule Narbonnaise semble laissée à l'écart, en dehors de la vallée du Rhône (territoire allobroge).  La carte proposée par Paul TYERS (1996) nous semble donc trop restrictive : il faut au moins y ajouter le Cotentin (vase de Coutances), le Limousin (vases de Limoges), la Saintonge (vases de Saintes et d'Aulnay-de-Saintonge), l'essentiel de la Suisse (jusqu'à Vindonissa).

Lieux de découverte (inventaire sans prétention à l'exhaustivité) :

Seuls sont retenus les éléments de vaisselle au sens strict, au détriment des lampes et des statuettes, dont la spécifité d'usage conduit à des conditions de diffusion particulières.

 — dans la vallée du Rhône :

Lyon (31 ex. : Desbat 1987), Vienne (5 ex. : Godard, in SFECG 1992)

 

— dans l'est de la Gaule Lyonnaise : 

Autun (2 ex. : A. Rebourg, in Autun-augustodunum 1985), Bourbon-Lancy (Notet 1990), Bourges (1 ex. signalé in Vertet 1986), Chantenay-Saint-Imbert (Nièvre), Roanne (environ 40 ex. : Feugère et alii 1977), Suèvres (Loir-et-Cher), Varennes-sur-Allier (Allier)

 

— dans l'ouest de la Gaule Lyonnaise (Jigan 1988, complété par Fichet, Gros in SFECAG 1995): 

Baron-sur-Odon (1 ex.), Bolbec (1 ex.), Brionne (7 ex.), Caen (2 ex.), Cahaigne (1 ex.), Caudebec-lès-Elbeuf (4 ex.), Coutances (1 ex.), Evreux (7 ex.), Harfleur (8 ex.), Lillebonne (1 ex.), Lisieux (9 ex.), Muids (1 ex.), Le-Plessis-Sainte-Opportune (1 ex.), Rouen (1 ex.), Saint-Aubin-sur-Gaillon (1 ex.), Sées (2 ex.), Thibouville (au moins 2 ex.), Vatteville-la-Rue (1 ex.)

 

— en Aquitaine : 

Aulnay-de-Saintonge (4 ex. : Santrot et alii, in SFECAG 1991), Limoges (Loustaud 1981), Saintes (Déchelette 1904, p. 56-10)

 

— dans l'ouest de la Gaule Belgique : 

Ailly-sur-Noye (Somme : 1 ex.), Amiens (29 ex. ), Beauvais (1 ex. : RAP 3/4, 1991, fig. 149-12), Dompierre-sur-Authie (Somme : 1 ex. cité in Piton, Delebarre 1993), Marcelcave (Somme : 1 ex.), Ribemont-sur-Ancre (Somme : 1 ex.), Vendeuil-Caply (6 ex. : Piton, Delebarre 1993)

 

— en Suisse : 

Avenches (cité in Jigan 1988), Genève (Paunier 1981), Vindonissa (50 ex. : d'après R. Ettlinger)

 

— en Grande-Bretagne (Greene 1979, complété par Symonds, Hatcher 1989, Pollard 1988) : 

Abergavenny (2 ex.), Alchester (1 ex.), Ancaster (1 ex.), Baldock (2 ex.), Bapchild (1 ex.), Bath (1 ex.), Birchington, Buckland Hill, Caer Gai (1 ex.), Caerleon (3 ex.), Canterbury (1 ex.), Carlisle (1 ex.), Chichester (1 ex.), Cirencester (3 ex.), Colchester (40 ex.), Dorchester (1 ex.), Exeter (2 ex.), Fishbourne (3 ex.), Gloucester (3 ex.), Great Casterton (1 ex.), Jordon Hill (1 ex.), Leicester, Londres (au moins 5 ex.), Malton (1 ex.), Mancetter (1 ex.), Margidunum (1 ex.), Richborough (au moins 9 ex.), Rochester, Saint-Albans (au moins 5 ex.), Sanderstead (1 ex.), Silchester (10 ex.), Sonning (1 ex.), Southwark, Springhead, Usk (21 ex.), Wall (1 ex.), Wanborough (2 ex.), West Wickham, Winchester (2 ex.), Woodcutts (1 ex.), Wroxeter (4 ex.), York (3 ex.).

 

2.2. Les importations de céramiques glaçurées de Gaule Centrale à Amiens

 

Les données faisant largement défaut, faute de publications, sur la diffusion de ces céramiques en Gaule, il nous a semblé intéressant de proposer ici un inventaire (inédit) des découvertes amiénoises dont nous avons eu connaissance. Il s'agit d'un lot assez conséquent, puisqu'il compte 29 exemplaires, mais qui ne doit pas masquer l'extrême rareté de ces importations.  

Armand DESBAT (1987) constate pour Lyon une proportion inférieure à un vase pour mille ; les données amiénoises conduisent à une estimation nettement moindre, pour les dépotoirs de l'époque Néron-Flaviens. Un ordre de grandeur peut être proposé à partir des dépotoirs 63049 (vers 70-90) et 11059 (vers 60-80) du Palais des Sports, qui ont chacun livré un tesson glaçuré : on se situe, en nombre de tessons, dans une fourchette de l’ordre de 1 pour 5000 à 1 pour 15000... Encore certains dépotoirs de la même période en sont-ils totalement dépourvus, ce qui diminue encore leur proportion.  

En milieu rural, ces céramiques sont rarissimes : sur l'abondant mobilier de Picardie que nous avons pu examiner, tant issu de fouilles que de prospections pédestres, seuls quelques exemplaires ont été enregistrés. Ils sont présentés à la suite des découvertes amiénoises. 

On peut invoquer pour cette extrême rareté deux explications, sans doute complémentaires : la spécifité du répertoire avec un créneau restreint dans l’équipement domestique, et peut-être également un prix d'achat élevé. En effet, les procédés de fabrication, surtout pour les formes moulés, font de la céramique à glaçure plombifère une des productions les plus complexes de l’époque (Corrocher 1983), ce qui a probablement une incidence sur les prix. Notons cependant que, malgré d’évidentes différences sociales entre les maisons de l’insula fouillée au Palais des Sports, toutes ont livré de la céramique glaçurée. 

Les éléments présentés ici illustrent la pauvreté du répertoire importé à Amiens, constitué presqu’exclusivement de cruches moulées (Déchelette 60, 61 et 62), de coupes carénées (Greene 10) et de gobelets ovoïdes (Greene 13 à 16). On est loin pour l’instant de la variété des formes trouvée par exemple en Normandie (Jigan 1988), et notamment de l'exubérance des décors moulés. 

Plusieurs opérations archéologiques sont prises ici en compte dans ce catalogue : l'apport principal est imputable au Palais des Sports, vaste fouille urbaine menée de 1992 à 1994 par Eric BINET, qui a livré a elle-seule 24 exemplaires distincts. D'autres tessons proviennent en quantité beaucoup plus modeste d'opérations menées rue des Otages (1 ex. : fouille et étude Eric BINET, 1986), rue Gaulthier de Rumilly (Eric BINET, 1999 : 1 ex.), rue de la Vallée (Eric BINET, 1998 : 2 ex.), rue Dom Bouquet (P. QUEREL, 1994 : 1 ex. ; E. BINET, 1998 : 1 ex.). Notons que plusieurs autres opérations, dont nous avons également assuré l'étude céramologique, n'en ont livré aucun témoignage. 

Sur ces 29 vases à glaçure plombifère,  un tiers environ est décoré au moule, les deux tiers restant étant constitués de vases lisses ou décorés à la barbotine. La totalité du lot provient, nous semble-t-il, de Gaule Centrale, mais avec plusieurs pâtes très distinctes. Dans l’état actuel, il est impossible d'utiliser ce critère pour attribuer les vases à une officine particulière. Nous avons toutefois pris le parti de détailler dans le catalogue le descritif macroscopique des tessons (sur cassure fraîche), pour d'éventuelles attributions ultérieures, quand les recherches auront progressé sur les centres producteurs. 

Les deux tiers des vases trouvés à Amiens appartiennent à l'un ou l'autre des deux groupes technologiques définis par Kevin GREENE (1979), à partir des vases découverts en Grande-Bretagne. Le groupe Greene a (une pâte blanche très fine, sans mica apparent) est représenté par neuf vases, et le groupe Greene b (une pâte gris-blanchâtre ou beige assez commune, contenant du mica et des inclusions brun-rouge) comprend ici sept vases. Mais plusieurs autres productions sont présentes, ce qui suggère des sources assez diversifiées (pâtes beiges ou ocres, avec ou sans mica, parfois avec des vacuoles ou des oxydes de fer). Nous n’avons pas jugé bon de tenter de définir de nouveaux groupes, sur la seule base d’observations macroscopiques sur quelques tessons. 

 

3. D'autres centres producteurs dans les provinces occidentales

 3.1. Les céramiques glaçurées romano-britanniques

 

Les exportations régulières des produits de Gaule Centrale vers la Grande-Bretagne y génèrent l'émergence d'une production sur place, dite "Staines lead-glazed Wares" (Arthur 1978), qui est connue des Flaviens à l'époque d'Hadrien (vers 70-140 de notre ère). La production se limite à trois formes, décorées à la barbotine : des bols Drag. 30 et Drag. 37, et des cruches piriformes. Des ratés de cuisson, découverts à Staines, près de Londres, indiquent l'origine de ces vases (ou au moins l'un des ateliers), produits dans une pâte grise ou brun-rouge, avec une glaçure translucide vert moyen virant au jaune sur les décors barbotinés. 

Ces vases semblent diffusés, en petite quantité, dans la vallée de la Tamise, et deviennent très anecdotiques dès que l'on s'en éloigne.

Lieux de découvertes (d'après Arthur 1978 et Pollard 1988) : Billericay (Essex), Brenley Corner (Kent), Enfield (Middlesex), Ewell (Surrey), Farningham (Kent), Londres, Lullingstone (Kent), Mucking (Essex), Plaxtol (Kent), Richborough (Kent), Shoebury (Essex), Southwark (Surrey), Springhead (Kent), Wickford (Essex). 

 

3.2. Des ateliers dans la péninsule ibérique ?

 

Michel PASSELAC (1993) signale, d'après les travaux d'A. LOPEZ MULLOR (1981), l'existence dans la péninsule ibérique de coupes, bols à marli et gobelets à anses coudées, qui se démarquent des autres productions connues dans la deuxième moitié du Ier siècle de notre ère. Des similitudes de décor, avec des parois fines produites à cette époque dans le sud de l'Espagne, incitent à placer l'origine de ces vases en Bétique. 

Le répertoire de cette production est établi par M. Passelac dans le volume Dicocer de la revue Lattara : il s'agit des formes GLA-RO 8a, 8b, 9, 10 (?), 11 et 12. Cette production semble apparaître vers le milieu du Ier siècle, et disparaître à la fin de l'époque flavienne. Ces produits sont bien attestés en Catalogne et dans leur bordure pyrénéenne. Ils ne semblent pas signalés actuellement en Languedoc. 

 

4. Les productions italiques (?) des IIe et IIIe siècles

 

Depuis plusieurs décennies, des céramiques à glaçure bicolore étaient signalées en plusieurs points du pourtour de la Méditerranée occidentale. La découverte d'une importante série à Lyon a déclenché une étude spécifique sur cette production, qui a permis d'en déterminer une partie de l'aire de diffusion (Desbat 1987), et de proposer une origine en Italie Centrale (Picon, Desbat 1987). 

La pâte de ces vases est bien cuite, calcaire, elle varie du rose au gris et au jaune pâle. Elle contient, visibles au binoculaire, des pyroxènes d'origine volcanique qui apparaissent sous forme de petits cristaux noirs en forme de baguettes (Desbat 1986). La glaçure, souvent irisée, présente à l'extérieur une teinte vert-bleuté, due à l'adjonction de cuivre au plomb, tandis que l'intérieur est brun ou jaune, par ajout d'oxyde de fer. La présence de gouttes de revâtement restées sur le rebord est caractéristique de cette production. 

La typologie est très variée, et comprend, comme en Gaule Centrale, des formes lisses et des vases moulés. Le répertoire ne semble plus voué exclusivement au service du vin, car il comprend des assiettes ou plats, et des bols moulés (proche du Drag. 37). La consommation des liquides reste toutefois le principal créneau de cette production, où dominent les skyphoï et canthares (à décor moulé ou barbotiné en écailles), les gobelets et les cruches. Pour des références typologiques, on se reportera à la classification de M. PASSELAC (1993). 

La diffusion semble centrée sur l'ouest du bassin méditerranéén (Desbat 1987). Des exemplaires sont signalés à Ostie et en Italie du Nord, dans les Baléares, en Afrique du Nord (El-Djem), en Tarraconnaise et en Lusitanie, sur la côte provençale, et en remontant la vallée du Rhône, à Lyon, Vienne (Godard in SFECAG 19959, fig. 13-40) et Genève. Par la vallée de la Saône, un exemplaire semble être parvenu jusqu'à Autun (A. Rebourd, in Autun-Augustodunum 1985, n°292). En revanche, lexemplaire trouvé à Colchester (Symonds, Hatcher 1989) semble tout à fait isolé, et ne correspond sans doute pas à un mouvement commercial, mais plutôt à une migration de son détenteur. 

A Lyon, ces céramiques sont rares (moins de 1‰ des tessons), mais pas moins de 47 vases (une centaine de tessons) ont été répertoriés à partir de trois opérations archéologiques (rue des Farges, Hauts de Saint-Just, La Solitude). Elles apparaissent durant la première moitié du IIe siècle, et semblent particulièrement abondantes à la fin du IIe et au début du IIIe siècle (Desbat 1987). Les fouilles d'Ostie fournissent une chronologie comparable, et suggèrent même que la production se poursuivrait au IIIe siècle et peut-être au-delà, assurant ainsi la transition avec les prolongements tardifs dont il va être question maintenant. 

 

5. Des prolongements dans l'Antiquité tardive

 

 Au Bas-Empire, la tradition de la glaçure plombifère perdure, semble-t-il, dans quelques secteurs très localisés des provinces occidentales. C'est le cas par exemple en Westphalie, où un atelier est connu à Krefeld-Gellep (Liesen, Pirling 1998), également en Provence (Cathma 1992), mais la production se concentre surtout autour du massif alpin, et dans les Balkans : Italie du nord, Rhétie, Pannonie Inférieure, Germanie Inférieure (Brogiolo, Gelichi 1997 ; Hasenbach, Schneider 1999). Dix-sept ateliers sont attestés dans ce vaste secteur à partir du milieu du IVe siècle (Liesen, Pirling 1998 ; Hasenbach, Schneider 1999) :

— en Italie du Nord, Vintimille, Brescia et Carlino,

— en Alsace, Illzach,

— en Bavière, Stätzling, Rohrbach, Bregenz (Lochau) et Passau,

— en Autriche, Mautern,

— en Slovaquie, Ljubljana et Ptuj,

— en Hongrie, Szombathely, Pilismarot, Tokod et Tac,

— en Roumanie, Sremska Mitrovica et Proga.

 

Marc-André Haldimann (1999) en signale un nouvel exemple en Suisse occidentale, dans la région de Martigny, qui témoigne de la persistance de cette tradition jusque dans le courant du Ve siècle (après 425). Il s'agit principalement d'une production de mortiers, dont la lèvre en collerette porte un décor de guillochis, de rouelles estampées ou d'incisons ondulées. Quelques autres formes semblent plus anecdotiques : un plat à bord en marli, une coupelle, des fragments de cruches. Leur pâte, gris-beige clair, bien cuite et assez fine, contient un dégraissant abondant de quartz ; la couverte glaçurée occile entre le vert-jaunâtre et le brun clair.  

Ce sont également des mortiers à collerette et des cruches qui semblent dominer à la fin du IVe siècle les productions glaçurées de Rhétie (Lichtenstein, Suisse orientale/Grisons), malgré l'existence d'autres catégories de vaisselle (assiettes, gobelets et coupes). Une production de vases de stockage semble également bien répandue dans le nord de l'Italie (Passelac 1993). 

Ces productions sont destinées à une clientèle régionale ; elle ne font pas l'objet d'un commerce à longue distance, mais sont diffusées autour des ateliers en quantités significatives, qui dépassent le stade de l'anecdote auxquelles étaient cantonnées les générations précédentes de céramique glaçurée. 

En France, ces productions sont susceptibles d'être découvertes en marge de la zone de production : en Alsace où un atelier au moins a fonctionné au Bas-Empire, le long de la frontière suisse, et sur la côte provençale à proximité de l'atelier de Vintimille.

 

 

Arthur 1978 : ARTHUR (P. A.). - The lead-glazed Wares of Roman Britain. In : ARTHUR (P. A.), MARSH (G.) éd. - Early Fine Wares in Roman Britain, Oxford, 1978, p. 293-356 (BAR-British Serie ; 57).

 

Arthur, Williams 1981 : ARTHUR (P. A.), WILLIAMS (D.). - "Pannonische glasierte Keramik" : an Assessment. In : ANDERSON (A. C. et A. S.) éd. - Roman Pottery Research in Britain and North-West Europe. Oxford : 1981, p. 481-510 (BAR International Serie ; 123/2).

 

Balil 1961 : BALIL (A.). - Ceramica romana vidriada en el Mediterraneo.  Actes du IIe Congresso Espanol de Estudos clasicos, Madrid, 1961, p. 96-98.

 

Brogiolo, Gelichi 1997 : BROGIOLO (G. P.), GELICHI (S.). - Ceramische, technologia ed organizzazione della produzione nell'Italia settentrionale tra VI e X secolo. La céramique médiévale en Méditerranée, actes du 6e congrès, Aix-en-Provence, 1997.

 

Cathma 1992 : CATHMA. - Céramiques glaçurées de l'Antiquité tardive et du haut Moyen-Age en France méridionale. In : PAROLI (L.) éd. - La ceramica invetriata tardo-antico e mediovale in Italia, Actes du Seminario Certosa di Pontignano, Sienne, 22-24 février 1990). Florence : 1992, p. 65-74 (Archæologia Medievale).

 

Corrocher 1981 : CORROCHER (J.). - La céramique à glaçure plombifère, dans Vichy antique. Clermont-Ferrand : IEMC, 1981, p. 156-172 (Insitut d'Etudes du Massif Central ; fasc. XXII).

 

Corrocher 1983 : CORROCHER (J.). – La céramique à glaçure plombifère de Vichy (Allier). Revue Archéologique du Centre de la France, t. 22, 1983, p. 14-40.

 

Déchelette 1904 : DECHELETTE (J.). - Les vases céramiques ornés de la Gaule romaine, volume I, 1904, p. 41-60.

 

Desbat 1985 : DESBAT (A.). - L'atelier de gobelets d'Aco de Saint-Romain-en-Gal (Rhône) (étude préliminaire). In : RIVET (L.) éd. - Actes du Congrès de Reims. SFECAG : Marseille, 1985, p. 10-14.

 

Desbat 1986 : DESBAT (A.). – Céramiques romaines à glaçure plombifère de Lyon et de Vienne. In : RIVET (L.) éd. – Actes du Congrès de Toulouse, 9-11 mai 1986. Marseille : SFECAG, 1986, p. 33-40.

 

Desbat 1987 : DESBAT (A.). - Céramique à glaçure plombifère des fouilles de Lyon (Hauts-de-Saint-Just, rue des Farges, la Solitude). Figlina, n°7, 1987, p. 105-123.

 

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